Mike est un artiste. Enfin, il se considère comme un artiste. Son truc, c'est de modeler des visages en pâte polymère sur des morceaux de bois. Pour se faire, étant totalement dénué de la moindre once d'imagination, il pille sans vergogne le travail d'autres artistes tel que Brian et Wendy Froud, Jill Willich ou Lorell Lehman... Comme aucun visage particulier ne lui vient quand il ferme les yeux, il pioche allègrement dans leur portfolio dégotté sur le net. Il ne créé pas, il reproduit, il plagie... Mike n'a pas le moindre respect du Petit Peuple, pour lui, ce n'est qu'un attrape-nigaud, conte pour enfant, hallucination de hippie écolo. Mais ça lui fournit sa croûte. Mike n'a pas non plus le respect de la Nature. Il se promène souvent en forêt mais pas pour l'admirer. Il scrute attentivement les arbres pour trouver ses cadavres sylvestres. Il regarde les branches, lorgne les racines, observe les écorces. Il arrache et mutile sans regrets les arbres. Il fait pleurer la sève, piétine les champignons, écrabouille les mousses. Il n'est pas là pour méditer ou s'émerveiller. Le temps c'est de l'argent et il n'en a pas à perdre. Mike revient toujours de ses excursions avec son grand sac rempli. Il met ses trouvailles à sécher puis choisi son prochain sujet. En une heure, le modelage est fini, aucune fantaisie n'est permise. La peinture est torchée en 30 minutes puis il vend le résultat à des prix prohibitifs sur son site sous l'appelation Vestiges de Faérïe. Il en a toujours été ainsi et cela aurait pû continuer longtemps...
Mais un soir, son atelier a bruissé d'un murmure étrange. Le bouillonnement de la sève sous l'écorce, le bruissement des feuilles, le vent qui siffle dans les branches n'auraient pû faire un son plus étrange et lugubre. Des chuchotis, des voix rauques, certaines gutturales, d'autres fluettes ont formé un conciliabule. Des ombres se sont penchées, des branches ont été serrées puis le calme est revenu.
Le lendemain, Mike est retourné travailler dans son atelier. Mais quelque chose n'allait pas, rien n'avait bougé mais des feuilles mortes trainaient par terre et de la condensation s'était formé sur la vitre. Il faisait froid pourtant le radiateur fonctionnait à plein régime. Il se sentait observé mais à chaque fois qu'il se retournait, il ne voyait personne. De temps en temps, un craquement ou un grincement le faisaient sursauter. Mais toujours personne. Quand il sortait de son atelier, il pouvait entendre de derrière la porte des chuchotements, des rires, quelquefois des pleurs. La nuit, la maison grinçait plus qu'auparavant comme si les poutres et les meubles s'ébrouaient. Du lierre se mit à pousser sur la façade, les arbres autour se firent plus touffus jusqu'à cacher entièrement la maison de la route. Des racines provoquèrent un éboulis dans la cave et des fissures apparurent sur les murs de la maison. Un épais tapis de feuilles mortes recouvrait le toit alors qu'aucun arbre ne le surplombait. Mike dût déboucher plusieurs fois les gouttières. La pelouse ne poussait plus, étouffée par une épaisse couche d'humus. Plusieurs petits cercles d'ammanites poussèrent dans le jardin. Pourtant, on était qu'en Août! Dans sa maison, de l'humidité apparut, de longues trainées noires coulèrent sur le papier peint, de la mousse poussa à la tête du lit, du lichen sur la cheminée qui ne suffisait plus à réchauffer l'atmosphère. A longueur de journée et bien qu'il soit seul, Mike sentait une présence dans son dos. Il crut voir plusieurs fois des silhouettes sombres se mouvoir à la périphérie de son regard mais sans jamais réussir à les surprendre. Tous les matins, il retrouvait la porte de son atelier entrebaillée même s'il l'avait fermé à clé. Un jour qu'il avait allumé sa cheminée, il se retrouva enfumé! Il éteignit rapidement le feu, ouvrit les fenêtres gonflées d'humidité pour évacuer la fumée et se mit à fourrager dans le conduit avec le tisonnier. Aussitôt, une avalanche se produisit! Une coulée de noix, de brindilles, de noisettes, d'aiguilles et de pommes de pins failli l'ensevelir... Les écureuils et les oiseaux s'y étaient mis aussi. La nuit, désormais, il dormait très mal, il faisait des rêves étranges où il se retrouvait perdu dans une forêt noire. Il se réveillait en sursaut pour entendre des grognements en provenance du jardin... Au réveil, il le retrouvait dévasté, le sol retourné, des centaines de traces d'animaux sauvages partout... Il n'allait plus en forêt depuis longtemps et n'avait plus aucun morceau de bois sur lequel modeler. De toutes façons, il ne vendait plus rien puisque le facteur ne pouvait atteindre sa maison à travers l'épais feuillage pour récupérer les colis. Il n'avait plus grand chose à manger et commençait à avoir des hallucinations. Il cru surprendre des lueurs malignes dans les yeux et des rictus sur ses visages modelés autrefois souriants. Il avait l'impression de grimaces furtives dans son dos et de regards appuyés, d'yeux qui suivaient ses mouvements. Il était sûr d'en avoir vu cligner des paupières. Il leur criait dessus, leur disait de le laisser tranquille puis il se barricadait dans sa chambre. Un soir, il entendit une voix derrière la porte. On aurait dit le raclement d'écorces l'une contre l'autre, de temps en temps un peu sifflante comme quand on souffle sur un brin d'herbe coincé entre les pouces.
"C'est toi qui l'a voulu, qui les a fait comme ça. Tu les as arraché à leur terre, les a torturé à des fins mercantiles. Tu t'es attaqué aux esprits élémentaires, aux êtres sylvestres, tu as enlevé des dryades à leurs frères végétaux centenaires. Sans elles, ils ont dépéri et ont été perdus, tellement de voix anciennes disparues à tout jamais. Certaines survivent encore un peu dans tes "créations", ce sont elles qui nous ont appelés, qui ont demandé notre aide. Elles t'entourent, te parlent, te supplient mais tu les ignores. Désormais, tu seras à leur service, tu ne partiras plus d'ici, ta maison est close et bien gardée, nous pourvoirons à tes besoins. Tu devras les écouter et elles parleront par ta voix. Tu seras leur gardien, leur âme déchue. C'est le poids de ton malheur et de ton orgueil."
L'on dit qu'il vit toujours dans la maison bien qu'on n'y voit jamais aucune lumière, qu'il est vêtu de haillons et recouvert de mousse. L'on dit qu'il est devenu fou, qu'il erre parfois dans son jardin, se tenant la tête entre les mains en gémissant, puis que lorsque la nuit tombe, il se glisse furtivement par le soupirail de la cave. C'est la maison perdue au milieu des bois, vous aurez du mal à la trouver, le chemin n'est plus utilisé et il a disparu parmi les fougères et les ronces. Et si vous la trouvez, vous l'entendrez peut-être gémir à moins que ce ne soit juste le hurlement du vent dans les hautes branches.
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