dimanche 11 décembre 2011

Arcadia - Fabrice Colin


"- Votre âme s'est étourdie aux lumières de Londres, et vous avez oublié que Camelot était le coeur d'Arcadia..."

Londres, 1872. Dans le monde d'Arcadia, la réalité a les couleurs du rêve : un royaume idéal, baigné de féerie arthurienne, où les ministres sont poètes et les artistes sont rois, où le futur est tabou et la mort improbable. Un jour pourtant, d'étranges présages viennent troubler la sérénité de la belle capitale. Neige bleutée, vaisseau fantôme... Le peintre Rossetti et ses amis se sentent mystérieusement concernés. Cent quarante ans plus tard, dans un Paris agonisant, quatre jeunes gens férus d'art victorien entendent le même appel, et s'apprêtent à déchirer le voile qui sépare les deux mondes.

Arcadia est une copie onirique de notre monde ; c'est l'endroit où survivent les morts dont on continue à se souvenir. Le premier postulat du livre de Colin est que les artistes en tout genre y ont une durée de vie bien supérieure à celle du reste de l'humanité car nous continuons à nous souvenir d'eux à travers leurs œuvres. Arcadia — qui se présente comme une copie compacte du Londres de l'époque victorienne — est donc majoritairement peuplé d'artistes : on y croise Lewis Carroll ou Lord Tennyson, mais aussi une bonne partie du groupe des Préraphaélites comme Dante Rossetti ou Swinburne, sans oublier l'ombre du poète Keats, trop tôt disparu.

En parallèle, la Terre du XXIIe siècle est en train de mourir en jetant ses derniers feux. Les eaux montent, la quasi-totalité de l'espèce humaine a disparu — sans qu'une explication soit véritablement donnée à cette disparition. Les survivants hantent les villes envahies par les eaux, ce qui nous vaut d'hallucinantes descriptions d'un Paris post-apocalyptique. Parmi eux, quatre adolescents qui pillent les musées pour se fabriquer un décor à la mesure de leur spleen. Mais que faire lorsque l'univers s'écroule, sinon chercher un moyen de tout remettre en route ?

Comme souvent dans ce type d'ouvrage en deux parties, le premier tome pose les décors, introduit les personnages et met en place les tensions, par l'intermédiaire de plusieurs lignes narratives distinctes. Cela lui donne un aspect un peu éclaté — dans le bon sens du terme car Colin maîtrise fort bien les glissements d'un univers à l'autre et les parallèles symboliques entre les situations. Un certain nombre de pistes se dessinent. On voit passer le fantôme du Hollandais volant, on entend le chant d'Escalibur. Et, pour sauver la reine d'Arcadia enlevée par le destructeur du monde, une poignée d'artistes s'improvisent chevaliers.

Le deuxième tome se concentre sur la ligne narrative d'Arcadia où les personnages principaux partent en quête de la Reine. C'est l'occasion pour Colin d'effectuer un superbe travail de tissage de mythes. Entre Jack l'Éventreur et Alice au Pays des Merveilles, Arcadia s'achève dans un vaste fourre-tout érudit et jubilatoire. Même si tous les fils du premier tome ne sont pas entièrement noués — le groupe des survivants parisiens est expédié en quelques lignes, dommage — la tapisserie est réussie.

Arcadia est un roman de quête d'inspiration arthurienne mais c'est aussi un objet inclassable et précieux, à la frontière entre de nombreux genres. Là où l'excellent Délius : une chanson d'été de David Calvo, chez le même éditeur, était conçu comme une véritable suite symphonique, Arcadia ressemble plutôt à une galerie de tableaux, une suite d'instants arrêtés. Le roman se compose d'une succession de scènes fortes qui oscillent entre surnaturel, réalisme magique, fantasy et féerie, avec un brin de SF pour faire bon poids. Un métissage tout à fait bienvenu.

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